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Yōichi Kotabe

Partie V : Vers de nouveaux horizons


Sommaire :

Partie I : L'ère Tōei
Partie II : D'un studio à l'autre
Partie III : De l'animation à Nintendo
Partie IV : Diversification et transmission
Partie V : Vers de nouveaux horizons
Sources
Annexe : Œuvres sur lesquelles a travaillé Yōichi Kotabe

Départ de Nintendo


Durant les années 2000 et 2010, Kotabe poursuit son travail de superviseur de l'animation sur des œuvres adaptées de licences partiellement ou intégralement détenues par Nintendo, que ce soit les nombreux films et séries tirées de l'univers de Pokémon ou la série TV Hoshi no Kirby. Mais c'est sur une œuvre sans lien avec la firme de Kyōto qu'il effectue un nouveau retour en tant qu'animateur en 2003. Projet mené par Kihachirō Kawamoto et réunissant plus d'une trentaine d'animateurs et réalisateurs venus de tous horizons, au rang desquels on compte Isao Takahata et Youri Norstein, Fuyu no Hi / Jours d'hiver est aussi l'occasion d'une retrouvaille professionnelle entre Kotabe et Reiko Okuyama, laquelle dirige et co-anime un segment avec son mari.
Celui-ci avait aussi dans l'idée d'adapter en animation les gravures sur cuivre de son épouse, mais son projet ne s'est jamais concrétisé.

Le 6 mai 2007, Reiko Okuyama décède à l'âge de 70 ans des suites d'une pneumonie. Après 21 années passées chez Nintendo, Kotabe décide de quitter la société et redevient freelance.

Quelques années plus tôt, il revenait sur sa carrière dans le jeu vidéo et apportait un début de réponse aux personnes qui se demandaient ce qui l'a retenu toutes ces années chez Nintendo :

« Plutôt que de création, j'évoquerais surtout l'envie de créer quelque chose d'attrayant qui, d'emblée, attire et suscite l'intérêt. On trouvait cela dans les films de Tōei d'autrefois. Ce qui m'intéresse dans l'animation, c'est ce travail de "malaxation", le fait de mettre la main à la pâte tous ensemble. C'est par ce processus commun que naît un film. Je ne ressentais plus ce mouvement dans la production animée des années 80 et je l'ai retrouvé dans le jeu vidéo. Depuis, les temps ont changé et nous sommes arrivés aux jeux vidéo en trois dimensions, mais les plus grands jeux se créent encore sur ce principe. La nécessité de bénéficier du savoir-faire des gens de l'animation s'est accru de façon assez importante. Je pense que désormais, il y a une participation beaucoup plus importante des animateurs dans les jeux. »

Celui qui était jusque là l'illustrateur officiel de Mario le plus reconnu ne coupe néanmoins pas les ponts avec son ancien employeur, notamment lorsque son ancien disciple, Yoshiaki Koizumi, veut lui présenter Flipnote Studio, logiciel d'animation reproduisant le concept du folioscope sur DS. Kotabe en a profité pour faire une démonstration en vidéo à l'occasion d'un entretien avec l'ancien président de Nintendo, Satoru Iwata.




Si Koizumi a depuis acquis d'importantes responsabilités au sein de Nintendo et n'est plus en mesure de continuer à produire des illustrations officielles, d'autres artistes ont pris le relai, en particulier Shigehisa Nakaue. Devenu le principal illustrateur du plombier au sein de Nintendo pour ce qui concerne les illustrations en 2D, le style de ce dernier s'inscrit dans la droite lignée de celui de Kotabe, à tel point que les illustrations de Nakaue lui sont régulièrement attribuées. Un phénomène qui n'est pas à étranger à l'ancien de la Tōei puisque, quand The Legend of Zelda: The Wind Waker a été dévoilé, nombreux sont ceux qui ont vu dans l'esthétique du jeu un signe de sa participation au projet.

Le style visuel de Wanpaku Ōji no Orochi Taiji, les vagues de L'ile au Trésor des Animaux... Si Breath of the Wild lorgne du côté de Ghibli et d'Hayao Miyazaki (et plus particulièrement de Nausicaä), Wind Waker s'inspire davantage de classiques de la Tōei. Il ne faut donc pas nécessairement y voir une implication de Kotabe (qui a nié avoir participé au développement de Wind Waker), mais plutôt une influence du cinéma d'animation auquel Kotabe a contribué de manière non négligeable. Par ailleurs, le designer du Link de Wind Waker - Yoshiki Haruhana - n'est autre qu'un disciple de Kotabe. Il a notamment produit des illustrations pour Super Mario World 2: Yoshi's Island et Kirby's Dream Course, puis assuré la direction artistique du remake de Link's Awakening.

Fin de carrière ?


En 2017, des problèmes de santé contraignent Kotabe à mettre sa carrière en suspens, sans certitude de pouvoir la continuer un jour. Son état est tel qu'il est hospitalisé durant 5 mois et que son fils commence à préparer ses funérailles. Pourtant, il parvient à se remettre sur pied et répond même présent aux invitations de festival envoyées de par le monde dès l'année suivante, que ce soit d'Annecy en France, de Kyōto au Japon ou encore de Zurich en Suisse.




Heidi au Japon, illustration réalisée par Kotabe à l'occasion de l'exposition tenue au musée national de Zurich en 2019.


Sa dernière collaboration connue avec Nintendo semble toutefois antérieure de quelques mois à cette période d'hospitalisation puisque les dernières oeuvres le créditant remontent à 2016 avec l'adaptation en série TV de Pokémon XY & Z et Pokémon, le film: Volcanion et la merveille mécanique. Il semble par ailleurs que la collaboration entre le développeur japonais et Kotabe se soit poursuivie essentiellement dans le domaine de l'animation après son départ de la société. S'il avait déjà abordé le sujet Nintendo en interview du temps où il en était un employé, c'est surtout au cours de ces dernières années que l'on a pu prendre conscience de la teneur et de l'ampleur du travail qu'il y a accompli.
On a par la même occasion découvert qu'il lui était arrivé de jouer à certains jeux produits par Nintendo au cours de sa carrière, à commencer par Dr. Mario (1990).

« J'étais heureux de pouvoir jouer à des jeux dans le cadre de mon travail, mais mes passions étaient Dr. Mario et Donkey Kong.
J'ai entendu dire que M. Ōtsuka jouait à la Game Boy avec la porte fermée dans son bureau chez Telecom Animation, et quand je l'ai rencontré, je lui ai parlé de
Dr Mario. »


« Quand j'y jouais du mieux que je pouvais, il m'est arrivé de dépasser le score de M. Ōtsuka. Il avait son propre bureau et je pouvais le voir y jouer à travers la vitre
(rires). Il était tellement frustré d'avoir perdu contre moi. Et puis il m'a de nouveau dépassé. »

Concernant Donkey Kong, il apprécie le personnage lui-même et a eu l'occasion de s'adonner longuement à Donkey Kong 64 (1999), opus développé par la société anglaise Rare.

« J’ai eu une influence bien involontaire sur Donkey Kong 64. Chez Nintendo, pour tester les jeux en cours de développement, nous utilisions une console "debug", et dans celle-ci, quand on mourrait, on reprenait au début de la séquence au lieu d’être renvoyé au début du niveau. Je l’ai empruntée un jour et, grâce à ce système, j’ai réussi à finir le jeu. Mais quand Miyamoto l’a appris [sans savoir qu’une console particulière était impliquée], il s’est alarmé que le jeu était beaucoup trop facile. Il a relevé la difficulté, et finalement les joueurs l’ont trouvé trop dur, et il s’est mal vendu (il éclate de rire). »

Retour à l'animation


En 2019, Kotabe collabore au drama Natsuzora, série en prise de vues réelles mettant en scène un personnage inspiré de Reiko Okuyama et de sa carrière à la Tōei. Il y travaille d'abord en tant que consultant sur l'histoire du studio, quand bien même le studio ainsi que les personnages et œuvres animées mis en scène y sont fictifs, puis en tant que concepteur de personnage à l'occasion d'un épisode. A l'origine pourtant, ce second poste ne lui était pas dévolu. Hitomi Tateno, ancienne animatrice du studio Ghibli et superviseuse de l'animation sur la série, devait se charger de la création de ce personnage en prenant en compte le fait qu'il s'agissait d'un personnage devant s'intégrer à une œuvre des années 60. Cette dernière, ne se sentant pas capable d'apporter à son dessin une touche à même de convaincre le public de l'authenticité de ce qu'il regarde, suggère à la production de se tourner vers Kotabe, « seule personne à même de dessiner un tel personnage ». Dans un premier temps, celui-ci refuse, arguant qu'il ne peut plus dessiner comme il l'aurait fait à l'époque. Toutefois, le producteur n'abandonne pas et l'animateur finit par se laisser convaincre, à condition qu'on lui décrive le personnage en question ainsi que l'histoire du film dans lequel il est censé évoluer. Une fois cette condition remplie, il conçoit Chiara, personnage dont le costume et la silhouette rappellent ceux d'Hilda du film Horus, Prince du soleil.




Chiara, le personnage conçu par Kotabe pour une œuvre fictive


Ce retour au poste de character designer n'est pas un acte isolé puisque, la même année, à l'occasion du centenaire de la boisson Calpis, Kotabe participe à un court métrage mettant en scène son créateur et destiné à être diffusé au Calpis Mirai no Museum.




Personnages et illustration dessinés par Kotabe pour le film du centenaire de Calpis

85 ans d'histoire(s)


A 85 ans, Kotabe demeure l'un des grands noms de l'animation japonaise et l'une des mémoires vivantes de cette industrie. Ses apparitions publiques sont d'autant plus précieuses qu'il est désormais l'une des dernières personnalités encore vivantes à avoir travaillé à la Tōei Dōga dès ses débuts ou presque, nombre de ses collègues et amis les plus proches étant depuis décédés, de Yasuji Mori à Yasuo Ōtsuka en passant par Reiko Okuyama ou Isao Takahata.
Bien qu'il n'ait pas travaillé sur le film en question, Kotabe est parfois invité en tant que témoin indirect à parler du Serpent Blanc, désormais considéré comme une œuvre patrimoniale qui mérite d'être mise en lumière. Cette année encore, il participera à une exposition consacrée à la série Heidi et qui devrait se tenir au Hamamatsu City Museum of Art.
Son œuvre a déjà fait l'objet de plusieurs expositions, centrées sur Heidi ou sur l'ensemble de sa carrière, notamment en novembre 2020 au centre culturel de Shiinoki dans la préfecture d'Ishikawa. Une partie de ses travaux a été regroupée dans le livre Yōichi Kotabe Legendary Animator - His Animated Drawings sorti en 2008, puis réédité dans une version enrichie en 2019. Ce projet, qui fut en gestation durant des années, reproduit de nombreuses photos d'époque ainsi que l'essentiel des dessins dont il avait encore la possession au moment de sa confection, qu'ils aient été réalisés dans le cadre d'une œuvre animée ou, plus rarement, d'un jeu vidéo.

Malgré tout, la variété des sources et la quantité d'informations relatives à son travail dans l'animation demeurent largement supérieures à ce que l'on peut trouver concernant son implication dans l'industrie du jeu vidéo, quand bien même sa renommée s'est accrue dans ce domaine au cours de ces dernières années. A la fois vétéran de l'animation et du jeu vidéo, le style de Kotabe est désormais aussi bien associé à Heidi qu'à Nintendo, laquelle en est bien consciente. Néanmoins, elle cherche aussi à ne pas s'enfermer dans un seul style, comme l'a récemment expliqué Miyamoto :

« Bien sûr, l'équipe de développement de n'importe quel jeu Mario peut avoir envie d'adopter le style visuel de Kotabe, mais il y a aussi une équipe de développement de personnages qui travaille vraiment dur pour créer de nouveaux styles et de nouvelles œuvres. »

Restent donc son influence, sa contribution à tout un pan de l'imaginaire des joueurs et amateurs d'animation du monde entier et l'espoir qu'un jour, peut-être, Nintendo s'associera à un éditeur pour produire un artbook regroupant les travaux du monsieur.




Une illustration de Mario réalisée en 2014 par Kotabe


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