Home

Yōichi Kotabe

Partie II : d'un studio à l'autre


Sommaire :

Partie I : L'ère Tōei
Partie II : D'un studio à l'autre
Partie III : De l'animation à Nintendo
Partie IV : Diversification et transmission
Partie V : Vers de nouveaux horizons
Sources
Annexe : Œuvres sur lesquelles a travaillé Yōichi Kotabe

Départ de la Tōei


Plusieurs bouleversements se produisent au sein de la Tōei Dōga au cours des années 60. La position du studio a évolué depuis son entrée dans l'industrie cinématographique et la télévision a progressivement occupé une place de plus en plus importante.
Il a produit 19 films d'animation de 1958 à 1971, des séries A (le modèle utilisé dès les débuts du studio) et des séries B à plus petit budget et d'une durée plus courte, mais qui rencontrent parfois plus de succès que les séries A, ce qui fut notamment le cas de Le vaisseau fantôme volant. Les producteurs voient alors de moins en moins l'intérêt de produire des séries A coûteuses, ce qui signe l'arrêt des films à 12 dessins par seconde.

Produire 20 minutes d'animation pour un film coûte bien plus cher que de produire un épisode de série TV d'une durée équivalente et la Tōei tente à tout prix de limiter les coûts, ce qui se fait ressentir auprès des animateurs. Les conditions de travail ne sont pas au beau fixe et les moyens alloués à la production des films ne permettent pas aux artistes du studio de réaliser leurs ambitions. La lutte entre le syndicat et la direction du studio n'a fait qu'agrandir la brèche entre les 2 partis et des employés commencent à faire leurs cartons à cette époque. En 1968, certains d'entre eux partent fonder le Studio N°1. Au printemps 1969, à la fin de la production du Chat Botté, c'est Ōtsuka qui quitte le navire. Tenu en partie responsable du retard pris par la production d'Horus ainsi que de l'échec du film, il comprend que son avenir ne se trouve pas au sein du studio où il a déjà passé plus de 10 ans. Il est rejoint au studio A Pro (lui aussi composé d'anciens de la Tōei) en 1971 par Miyazaki, Kotabe et Takahata, après avoir contacté ce dernier. D'après Miyazaki, « La société avait durement fait savoir qu’elle ne donnerait jamais plus à Isao Takahata l’occasion de réaliser. »

Kotabe : « Jusque là, la Tōei produisait un film par an. A l'époque, tous les employés du studio se consacraient pendant une année à la réalisation d'une œuvre. Mais la Tōei a commencé à produire des films d'animation pour la télévision de façon plus intensive, avec un meilleur rendement. La production est passée d'un à plusieurs films par an. Les séries télévisées, à part Ōkami Shōnen Ken qui est un scénario original, étaient des adaptations de romans ou de bandes dessinées à succès publiées sous la forme de séries dans des magazines. La Tōei prenait donc des options sûres. Pour des raisons budgétaires, j'imagine, elle a décidé de ne plus produire un grand film par an, mais plusieurs longs métrages de moindre envergure et plus légers. C'est ainsi que sont apparus les films de série B. La Tōei a appliqué une politique budgétaire de plus en plus stricte, et dans ce contexte, il est devenu de plus en plus difficile de faire des films consistants. »

Fifi Brindacier


Lorsqu'Ōtsuka convie Takahata au studio A Production (studio de production de Tokyo Movie, depuis renommé TMS), il ne le fait pas sans lui soumettre un projet : celui d'adapter en série animée les romans Fifi Brindacier. Si le réalisateur n'a pas de mal à convaincre Miyazaki de faire ses cartons, Kotabe se montre plus hésitant, tiraillé entre son envie de travailler sur ce projet et celle de rester auprès de certains de ses collègues non démissionaires. Il décide néanmoins de suivre les futurs fondateurs du studio Ghibli et tous s'attèlent à la préparation du projet en concevant notamment des personnages et dessinant des image boards (dessins servant à illustrer un projet, à en faire saisir l'essence et l'atmosphère en montrant par exemple des séquences clef).

Miyazaki : « Kotabe dessinait les personnages, je dessinais des décors. C’était comme ça depuis le début. S’il y avait un mauvais trait dans mes dessins, Kotabe le corrigeait. Du coup, ça devenait complètement différent. Je lui donnais mes dessins en silence une fois terminés. Kotabe est quelqu’un qui ne parlait pas beaucoup et qui argumentait peu. Comme il connaissait à peu près les attentes de Paku (surnom donné à Isao Takahata), il n’y a pas eu de discussion entre nous et nous avons travaillé en silence chacun de notre coté. [...] Je dessinais en imaginant toutes les situations qui me passaient par la tête et à partir de mes dessins, Kotabe concevait les personnages à la façon Kotabe. En tout cas, nous n’avons pas eu de réunion. »

Kotabe: « Pour la création du personnage de Fifi, je me suis référé à ce qui avait été filmé en Allemagne avec de vrais acteurs. L’actrice qui jouait Fifi (Inger Nilsson) était originale et parfaite. Cette fillette avait été choisie en accord avec Lindgren parmi 2 000 candidates. J’étais motivé et je me suis dit que j’allais dessiner moi aussi 2 000 personnages. Evidement, c’était impossible et je me suis arrêté seulement à une trentaine. »



Image board réalisé par Kotabe pour l'adaptation de Fifi Brindacier


Miyazaki accompagne en Suède le président du studio Tokyo Movie, Yutaka Fujioka, afin de négocier les droits d'adaptation des romans d'Astrid Lindgren, sans jamais parvenir à la rencontrer. A ce stade, Takahata a déjà rédigé un script tandis qu'un court film test est produit. Pourtant, après plusieurs tentatives de négociations infructueuses, notamment via l'éditeur des romans au Japon, l'autrice leur fait notifier son refus de voir son œuvre adaptée en série animée. D'après Kotabe, elle a indiqué avoir peur que le réalisateur ne soit intéressé que par l'argent.

Plus de trois décennies plus tard, et alors que Miyazaki jouit désormais d'une renommée internationale suite au succès du Voyage de Chihiro, les héritiers d'Astrid Lindgren (décédée en 2002) contactent le studio Ghibli en vue de leur proposer d'adapter ces mêmes romans. Le réalisateur n'a alors plus la motivation suffisante pour s'atteler à ce projet, d'autant plus que ses travaux préparatoires ont entre temps été utilisés sur plusieurs de ses œuvres, à commencer par Panda Kopanda.

Panda Kopanda / Panda, petit panda (1972)

Kotabe : « L’année qui a suivi l’arrêt de la production de Fifi Brindacier, avec Paku et Miya, nous avons créé Panda Kopanda (Panda, petit panda). Pour cette œuvre, j’ai utilisé des éléments dessinés pendant la période préparatoire de Fifi. Par exemple, le personnage principal de Mimiko, une fillette avec des nattes, autonome et qui vit seule, tout ça vient de Fifi. »


Miyazaki : « J’ai utilisé beaucoup de choses de la pré-production de Fifi, notamment des décors de l’intérieur de la maison et des personnages. J’ai fait apparaître la grande balançoire envisagée pour Fifi dans le générique de début de Heidi et je me suis référé à des éléments que j’ai vu à Visby pour la ville de Koriko dans Kiki, la petite sorcière (1989). »

Projet initié par Miyazaki et Takahata, Panda Kopanda aurait pu rester dans les cartons du studio A Production si un événement extérieur n'avait pas poussé sa direction à réviser son jugement. Adepte de ce qui fut baptisé la « diplomatie du panda », la Chine a prêté 2 pandas au Etats Unis puis 2 autres au Japon en 1972 afin de marquer la reprise de ses relations diplomatiques avec ces 2 pays. Effet secondaire de cette politique : le mammifère a brusquement joui d'une certaine popularité au sein de l'archipel.
Toutefois, cette déferlante ne frappe pas le pays immédiatement après l'échec du projet Fifi, contraignant notre trio à travailler sur différents projets dans l'intervalle, notamment sur la première adaptation télévisée de Lupin the Third sur laquelle Miyazaki et Takahata collaborent (en sous-marin) en cours de diffusion à la demande d'Ōtsuka. De son côté, Kotabe supervise le design des personnages de la série animée Akadō Suzunosuke, sur laquelle il officiait au poste de directeur de l'animation assistant.

« À l'époque, on en était aux débuts de l'animation à la TV, et je me suis demandé s'il était possible de réaliser quelque chose d'aussi simple, alors j'ai beaucoup expérimenté. J'ai essayé de concevoir des personnages qui ressemblent à du Sanpei Shirato (auteur du manga Kamui Den). »



Personnage principal de la série Akadō Suzunosuke, adapté d'un manga de Tsunayoshi Takeuchi et Eiichi Fukui débuté en 1954.


Les deux films Panda Kopanda sont réalisés à une époque où leurs principales têtes pensantes - Miyazaki, Takahata, Ōtsuka et Kotabe - sont pères de jeunes enfants, lesquels sont clairement le cœur de cible de ce diptyque. Ōtsuka et Kotabe prennent en charge la conception des personnage tandis que Miyazaki écrit le scénario (entre autres choses).

Ces films sont aussi l'occasion pour l'équipe de mettre en place un système jusque là peu employé au Japon (il semble qu'on en trouvait déjà des traces sur certaines séries de la Tōei) et qui perdure aujourd'hui, à savoir les layouts. Un layout est un dessin par lequel son auteur détermine la composition du cadre. Il y agence les différents éléments tels que le décors, les objets et personnages de manière plus détaillée que dans un storyboard, proche d'une ébauche de pose clef. C'est un moyen pour le réalisateur d'expliciter sa vision auprès des personnes qui prendront en charge l'animation du plan en question ou en dessineront l'arrière plan, ce qui permet notamment de gagner du temps. Ce système a été progressivement affiné, en particulier sur la série Heidi. A noter que Kotabe n'a jamais fait de layout de toute sa carrière.




Séquence durant laquelle le village est immergé, animée par Kotabe


Si Panda Kopanda recueille les faveurs du jeune public, Kotabe émet néanmoins quelques réserves vis à vis de ce projet, estimant qu'il n'a pas permis de concrétiser pleinement ce qu'ils avaient en tête lorsqu'ils ont quitté la Tōei pour travailler sur Fifi Brindacier.

Heidi / Alps no Shōjo Heidi (1974)


Après quelques menus travaux sur les séries Samurai Giants (1973 - 1974) et Kōya no Shōnen Isamu (idem) pour lesquelles il a dessiné des poses clefs sur un épisode chacune (quoique non crédité sur la seconde), Kotabe se retrouve à nouveau dans la situation où un autre studio lui ouvre ses portes.

« Après avoir fait Panda, Kopanda, une autre société nous a contactés pour Heidi. Et à nouveau, je me suis demandé ce que je devais faire. J'avais quitté Tōei Animation, alors si nous quittions aussi Tokyo Movie, ce serait notre troisième compagnie. Mais si nous pouvions être certains que M. Takahata serait capable de réaliser quelque chose, Miya et moi avons dit que nous le suivrions. C'est ainsi qu'est né Heidi. »

L'idée d'adapter le roman Heidi en série TV était semble-t-il en germe depuis plusieurs années dans la tête du fondateur de Zuiyō Eizō, Shigehito Takahashi, et la préproduction aurait débuté en 1971 selon le scénariste Isao Matsumoto.
Entre temps a eu lieu la diffusion télévisée de l'adaptation animée des Moomin (1969-70), laquelle fit forte impression sur Kotabe et Takahata. Cette série, produite par Tokyo Movie et sur laquelle a travaillé Ōtsuka, a montré ce qu'il était possible de faire à la TV malgré un budget limité.

Le souci d'authenticité caractérise tout ou partie des œuvres réalisées par Takahata et Heidi ne fait pas exception à la règle. Pour cette série, il est épaulé par le président du studio Zuiyō dont l'ambition le pousse à envoyer une partie de son équipe faire des repérages en Suisse et en Allemagne en juillet 1973 afin de capturer l'essence des Alpes suisses et de cerner leurs habitants. Si Miyazaki avait déjà mis à profit son voyage en Suède pour y faire de l'observation, il est cette fois accompagné de Takahata et de Kotabe.




Hayao Miyazaki, Yōichi Kotabe et Isao Takahata devant le chalet qui a servi de modèle au domicile d'Heidi et de son grand-père

« C'était entièrement nouveau pour nous », se souvient Kotabe, soulignant qu'il n'était jamais sorti du Japon auparavant. « Le délai était très court, nous étions donc conscients que nous devions rassembler autant de matériel que possible. »

Miyazaki et Kotabe occupent l'essentiel de leur temps à réaliser des croquis de décors et d'habitants et à faire de l'observation. Initialement, ce n'est pas Kotabe qui conçoit les personnages mais Yasuji Mori, lequel travaillait en parallèle sur la série Rocky Chuck. Il dut céder sa place après être tombé malade, laissant son disciple créer ses propres designs (quoiqu'on retrouve des similitudes entre les travaux des deux hommes).

« Les personnages de Heidi n'étaient illustrés que dans le livre, nous avons donc dû travailler à partir de cela, mais j'avais beau les dessiner, Takahata ne disait jamais un mot. Je lui ai demandé quelques idées et il a fini par dire : "S'il vous plaît, faites un dessin de Heidi qui regarde son grand-père droit dans les yeux". Quand je travaillais sur Heidi, je ne dessinais que des choses mignonnes et adorables, mais je me disais "Oh, ça ne fonctionne pas". Le réalisateur voulait un personnage qui puisse tenir tête à ce vieil homme têtu. »

A noter qu'Heidi semble être la première série animée japonaise à créditer formellement une personne au poste de character designer, titre qui, selon l'historien Ilan Nguyên, a été trouvé par Takahata pour décrire le travail de Kotabe.




Concept art réalisés par Kotabe pour le personnage d'Heidi


Concernant Takahata, s'il avait déjà produit des storyboards pour des épisodes de séries TV, notamment sur Kōya no Shōnen Isamu, Heidi est la première série qu'il réalise lui-même. Le niveau d'exigence qu'il impose à ses collaborateurs tient en partie au fait que, depuis l'adaptation animée de Tetsuwan Atomu, l'aspect technique des séries TV animées au Japon n'a pas tant évolué, en dehors de rares sursauts. Cela se traduit notamment par des chiffres : en comparaison avec les autres séries de l'époque, environ trois fois plus de celluloïds sont utilisés pour chaque épisode d'Heidi. Mais ça se traduit aussi par un coût humain, la série marquant durablement aussi bien une partie de l'équipe que le reste de l'industrie. L'équipe en charge de la série n'était pas la première à subir de mauvaises conditions de travail, les nuits blanches étaient déjà pratiquées chez Mushi Productions. De même, avant que le syndicat de la Tōei n'obtienne des concessions, les employés masculins célibataires se voyaient contraints de travailler toute la nuit au studio. Toutefois, il semble qu'un nouveau cap ait été franchi durant la production d'Heidi.

« M. Takahata voulait aller au fond des choses, montrer la vie quotidienne d'Heidi dans les montagnes et toutes ses relations avec les personnages, alors nous nous sommes lancés dans la production, mais ce fut assez difficile. Nous sommes restés debout toute la nuit pendant plusieurs nuits d'affilée. J'ai cru que j'allais mourir. C'était vraiment horrible.


Le travail sur
Heidi fut tellement dur, avec un rythme si soutenu que j'ai eu ensuite des problèmes de santé. Il faut comprendre que nous avons passé une année entière confinés tous ensemble dans le studio. Les seuls trajets que je faisais (en voiture) étaient ceux pour rejoindre mon domicile. »

En plus de s'occuper du design des personnages, Kotabe doit vérifier toutes les animations intermédiaires et les corriger si nécessaire, ce qui représente une masse de travail énorme. Idem pour Akiko Koyama, en charge de vérifier la mise en couleur de chaque celluloïd. Les nuits de sommeil se raccourcissent au fur et à mesure de la diffusion et les nuits blanches se font de plus en plus fréquentes ce qui, d'après l'animatrice Yōko Gomi, était un phénomène exceptionnel dans l'industrie avant Heidi.

Malgré le pessimisme auquel se heurte l'équipe de production au moment de la création de la série - la mode est alors plutôt aux séries de sport type Kyojin no Hoshi ou aux séries de mecha - , celle-ci trouve son public dès sa première diffusion, quand bien même elles réalise des scores d'audience inférieurs à ceux de Mazinger Z, dont la diffusion se poursuivait en parallèle à celle d'Heidi.

Marco (1976)


A la suite de ce succès et après un court passage sur la série Flanders no Inu (1975) pour laquelle Kotabe et Miyazaki ont travaillé comme animateurs clef, une nouvelle adaptation de roman est mise sur les rails pour occuper le créneau World Masterpiece Theater. Depuis la fin des années 60, la chaîne Fuji TV propose des adaptations de romans, illustrés ou non, voire de bandes dessinées, sur un créneau qui avait déjà accueilli des versions animées des Moomin, d'Heidi ou encore des contes d'Andersen. On reste en Europe avec une adaptation du roman Cuore d'Edmondo De Amicis : Haha o Tazunete Sanzen Ri (1976), bien souvent simplifié en Marco, du nom de son personnage principal.

« Contrairement à Heidi, il n'y a pas eu de film pilote. Celui-ci avait été fait pour essayer de vendre le projet à différentes sociétés afin de trouver son financement. C'était sans doute nécessaire pour Heidi, mais après le succès de la série, Marco s'est mis en place assez facilement pour s'inscrire dans une logique de continuité. »

Si Marco ne bénéficie pas d'une renommée égale à celle d'Heidi, notamment en France où la série n'a pas connu de diffusion télévisée, l'ambition de départ est similaire, Takahata y imposant sa patte en en faisant une série à dimension sociale. Néanmoins, cette ambition se heurte à un problème découlant directement de la production d'Heidi.

« La diffusion d'Heidi a duré un an et s’est achevée fin 1974. En 1975, très rapidement après, nous avons enchaîné sur la préparation de Marco, avec notamment un voyage de repérage. L’équipe se composait essentiellement des mêmes personnes : Isao Takahata à la réalisation, Hayao Miyazaki au layout, moi-même à la création des personnages et à la direction de l’animation.
En ce qui me concerne, le travail sur la série
Heidi avait été marqué par une très grande attention aux détails du quotidien ordinaire. Cela représentait un nombre de dessins plus important que la moyenne des dessins animés japonais de l’époque. Il fallait vraiment être productif et efficace, et j’ai passé des mois à travailler assis presqu’en permanence. Au final, ça a eu une incidence sur mon dos qui m’a poursuivit par la suite. Et lorsque ce voyage de repérage a été décidé en 1975 pour préparer la série Marco, je devais faire partie du voyage. Je devais avoir cette chance d’aller jusqu’à Gènes et en Argentine, à l’autre bout de la Terre pour nous Japonais. Mais comme ces problèmes de dos et de hanche se prolongeaient, il était pour moi inconcevable de passer 30 heures en avion. »



Recherches pour le personnage de Marco

« Si j'avais pu participer à ce voyage, il est très probable que le personnage de Marco - mais aussi d'autres - aurait été conçu de manière différente. Je me souviens que sur Heidi, j'avais déjà une idée un peu formée sur les personnages avant le repérage. Ces idées ont été complètement bouleversées par tout ce que j'ai pu voir.
Finalement, je n'ai pu qu'entendre ou recueillir auprès du reste de l'équipe leurs différentes impressions, que ce soit Takahata, Miyazaki, Mukuo
(le décorateur en chef) ou le producteur.
J'ai également emprunté des documents à l'ambassade d'Italie au Japon, et monsieur Takahata m'a aussi prêté des livres. Je me suis basé sur l'ensemble de ces éléments pour commencer à travailler sur cette série. »

Kotabe se tourne aussi vers le cinéma occidental afin d'y trouver des références et d'étudier des caractères :

« Au delà de la conception purement graphique, je me suis souvenu du travail sur la gestuelle et sur la création des comportements. Par exemple, les haussements d’épaules ou les bras qui se lèvent en signe d’impuissance. Ça c’est quelque chose qu’on ne fait jamais au Japon. Mais on le voyait au cinéma dans les films. Et donc, tout ce que je pouvais trouver qui, à mes yeux, pouvait correspondre à l’idée que je me faisais de ces personnages, je l’ai inclus dans ce travail. »

Si Marco demeure une œuvre importante dans la carrière de Kotabe, ce dernier n'occulte pas pour autant le fait que le ton est régulièrement monté avec ses deux comparses lors de la production de la série.

J'avais l'habitude de me disputer avec (Miyazaki) assez souvent, notamment quand on a fait Marco. Je me disputais aussi avec M. Takahata. Même si nous avions une structure dramatique précise pour une scène, j'allais dessiner quelque chose comme je le sentais. Maintenant que j'y pense, nous n'avons fait que nous disputer ! (rires)

De fait, à l'exception du film Nausicaä sur lequel a travaillé Takahata au poste de producteur et non de réalisateur, Marco est la dernière œuvre réunissant le trio Miyazaki-Takahata-Kotabe.

Passage au statut de freelance


La première diffusion de Marco au Japon s'achève quelques jours avant le nouvel an 1977, année durant laquelle Kotabe travaille sur deux autres séries en tant qu'animateur : Araiguma Rascal et Seton Dōbutsuki: Kuma no Ko Jacky / Bouba, le petit ourson. De son côté, Yasuo Ōtsuka se voit confier son premier travail de réalisateur avec Sōgen no Ko Tenguri, court métrage faisant la promotion de Snow Brand Milk Products. Celui-ci n'a qu'un mois pour livrer le projet et s'entoure de plusieurs de ses proches dont Kotabe (qui anime le personnage principal), Miyazaki (qui dessine un tiers des layouts), Okuyama ou encore Yoshifumi Kondo, jeune animateur de talent déjà présent sur Panda Kopanda et qui réalisera Mimi o Sumaseba / Si tu tends l'oreille des années plus tard au sein du studio Ghibli.

L'année 1977 aurait été consacrée à la préparation de la série Perrine Monogatari (1978) si Takahata avait accepté d'en assurer la réalisation. Hélas, ce dernier passe son tour, ce qui a vraisemblablement poussé Miyazaki et Kotabe à faire de même.
C'est à peu près à l'époque où débute la diffusion de cette série que Kotabe décide de quitter Nippon Animation (nouvelle incarnation du studio Zuiyō Eizō, lequel a muté en 1975) et de fonder un petit studio - l'atelier Sakai - avec une ancienne collègue de la Tōei avec qui il avait déjà fondé un foyer : Reiko Okuyama.
Moins connue en dehors du Japon que certains des autres collaborateurs de Kotabe - Miyazaki, Takahata et Ōtsuka en tête - Reiko Okuyama a obtenu une reconnaissance plus tardive dans une industrie où les opportunités sont davantage accordées à la gent masculine que féminine.




Reiko Okuyama (au centre) durant la production de Wan Wan Chūshingura (1963)


Okuyama a débuté comme animatrice sur Le Serpent Blanc, film encore aujourd'hui considéré comme une borne de l'animation japonaise. Elle n'était pas la seule femme à avoir œuvré à ce poste sur ce long métrage ; Akemi Ota, devenue Akemi Miyazaki après son mariage avec Hayao, a elle aussi débuté sa carrière dans l'animation sur ce film. Il en va de même de Kazuko Nakamura qui y a dessiné des intervalles, avant d'être repérée par Osamu Tezuka qui la fit venir dans son studio où elle occupa notamment le poste de directrice de l'animation dès 1962 sur le court métrage Aru Machikado no Monogatari. Toutefois, dans un pays où la carrière professionnelle des femmes était bien souvent stoppée après un mariage, nombre d'animatrices n'ont pas eu l'occasion de rester dans l'industrie bien longtemps. L'exemple d'Akemi Miyazaki est d'ailleurs parlant à ce sujet puisque, bien qu'ayant débuté dans l'animation avant son mari, ce dernier l'a poussée à se retirer pour élever leurs enfants à l'époque où il travaillait sur l'adaptation de Fifi Brindacier.

Okuyama démissionne de la Tōei au milieu des années 70, le studio ne lui offrant pas l'occasion de faire ses preuves en tant que réalisatrice malgré son ancienneté et la cantonnant au mieux à un poste de directrice de l'animation. Après un court passage chez Nippon Animation où elle a notamment assisté Kotabe à la direction de l'animation sur Marco, elle passe elle aussi freelance puis quitte l'industrie de l'animation à la fin des années 80 pour se consacrer à l'illustration et la gravure et enseigner l'animation. Elle allie animation et gravure sur cuivre pour le court métrage Chūmon no Ōi Ryōriten (1991), adapté d'une nouvelle de Kenji Miyazawa, puis collabore en 2003 avec Kotabe sur un segment du film Jours d'Hiver, quelques années avant son décès, en 2007.
Son mari a par la suite supervisé un recueil compilant nombre des dessins qu'elle a réalisés tout au long de sa carrière. Mais c'est probablement avec Natsuzora, série live diffusée sur la NHK en 2019 et inspirée de la vie d'Okuyama qu'une plus large partie du public découvre cette artiste multitâche. En parallèle sort Manga Eiga Hyōryūki - Oshidori Animator Okuyama Reiko to Kotabe Yōichi, un livre qui retrace à travers des témoignages de proches (Kotabe, Hiroshi Ikeda, Akemi Miyazaki, etc.) la carrière d'Okuyama à la Tōei ainsi que la vie du studio à l'époque où elle y a travaillé.

Tatsu no ko Tarō (1979)


Le studio fondé par Kotabe et Okuyama n'est composé que de 2 personnes - les studios de petite taille effectuant de la sous-traitance sont alors très courants. Le couple travaille de chez lui, ensemble ou séparément, sur divers projets d'œuvres animées, des commandes dont une partie est passée par d'anciens collègues. L'un des clients du jeune studio n'est autre que la Tōei elle-même, laquelle met en chantier l'adaptation en long métrage d'un conte japonais : Tatsu no ko Tarō (1979). Pour ce film, Kotabe et Okuyama travaillent sur l'animation, conçoivent les personnages et déterminent avec l'équipe le style visuel à adopter :

« C'est un film qui adapte un ancien récit, un conte populaire du Japon d'autrefois, une histoire qui a été contée et racontée depuis des générations. Sur Heidi comme sur L'île au Trésor des Animaux, nous étions dans un cadre étranger ; là, il s'agissait de représenter quelque chose de japonais. L'un des gros problèmes qui s'est posés pour toute l'équipe fut de savoir de quelle façon représenter le Japon. On pourrait penser que ce soit évident pour une équipe japonaise, mais nous nous sommes rendus compte que ce n'était pas du tout le cas. »

Ironie du sort, le projet a été initié en 1965 par Isao Takahata avant d'être écarté au profit d'Horus. D'après Yasuo Ōtsuka, lorsque la Tōei a fait appel à Kotabe pour assurer la direction de l'animation, ce dernier aurait demandé à ce que Takahata réalise le film, ce que la direction du studio aurait refusé catégoriquement.




Tarō, le personnage principal du film


Au cours de la production, Kotabe reçoit une nouvelle proposition de collaboration de la part de Miyazaki :

« Il y a un projet que j’ai décliné, c’est la série Conan, le Fils du Futur de Hayao Miyazaki qui date de 1978. À cette époque, j’étais déjà freelance et je ressentais déjà une certaine insatisfaction vis-à-vis du travail de l’animation. Il y a une scène culte dans l’épisode 8 de cette série, où Conan, le personnage principal, est enchainé sous l’eau et manque d’oxygène. Lana, le personnage féminin, va alors plonger pour lui faire du bouche à bouche et lui redonner un peu d’air. C’est une scène sous-marine que M. Miyazaki m’a demandé d’animer. À cette époque, je travaillais déjà sur Tatsu no Ko Tarō et j’ai décliné l’offre. »

Jarinko Chie / Kié la Petite Peste (1981)


Quelques temps plus tard, Kotabe répond néanmoins présent à l'appel d'un autre de ses anciens collègues - Yasuo Ōtsuka - pour venir travailler sur un projet mené au sein du studio Telecom : l'adaptation en long métrage de la bande dessinée d'Etsumi Haruki Jarinko Chie (le personnage principal sera rebaptisé Kié en France afin d'éviter tout mauvais jeu de mots). Ōtsuka monte lui-même l'équipe du film après avoir déterminé qui correspondrait à tel ou tel poste. La réalisation est ainsi confiée à son ami de longue date Isao Takahata, dont c'est le deuxième long métrage, tandis qu'il se répartit la conception des personnages avec Kotabe de manière assez informelle, en fonction des forces et faiblesses de chacun.

« Je lisais Manga Action dans mon café préféré, mais Jarinko Chie ne m'a pas laissé une bonne impression au premier abord. Puis ma femme m'a dit : "Oh, je ne lis que Jarinko Chie dans Manga Action. Tu devrais le lire.", alors je l'ai lu et je l'ai vraiment apprécié. C'est pour cette raison que, lorsque Yasuo Ōtsuka m'a demandé si je voulais travailler avec lui sur le film, j'ai immédiatement accepté. »

Kotabe et Ōtsuka assurent la direction de l'animation ainsi que l'adaptation des designs du manga en anime. Pour ce second point, l'une des difficultés a été de transposer en couleurs des personnages jusque là représentés en noir et blanc. Un autre point concerne le personnage principal, Chie, dont le visage plat ne peut-être représenté sous certains angles de vue sans trahir cette caractéristique physique. Kotabe, qui a pris en charge le design de ce personnage ainsi que d'autres, doit donc éviter de la représenter de 3/4.




Quelques unes des poses et expressions de Chie


Un scénario a déjà été écrit quand Takahata est appelé sur le projet mais, à l'instar de Kotabe et d'Ōtsuka, celui-ci ne lui convient pas. Tous trois sont amateurs de la bande dessinée et sont soucieux d'en transposer l'esprit, ce qui pousse Takahata a réécrire le scénario afin de proposer une histoire plus fidèle au matériau d'origine.

Le film sort en 1981, suivi quelques mois plus tard d'une adaptation en série TV. Après ça, les occasions de collaborer avec ses anciens collègues et de s'impliquer pleinement dans la production d'une œuvre se feront plus rares pour Kotabe.

Les années de lassitude


Depuis son passage au statut de travailleur indépendant, Kotabe a participé à la production de films et de courts métrages, mais n'a pas délaissé pour autant les séries TV. Il a notamment réalisé le storyboard d'un épisode de Manga Nihon Emaki, diffusé de 1977 à 1978. Après la sortie de Kié la petite peste en 1981, il œuvre sur d'autres séries TV, à commencer par Serendipity Monogatari: Pyua-tou no Nakama-tachi, diffusée de janvier à décembre 1983 au Japon et pour laquelle il prend en charge la conception des personnages. Sur la seconde série, Kojika Monogatari, dont la diffusion a débuté en 1983, il officie en tant que directeur de l'animation.
Kotabe s'essaie aussi à l'illustration avec Gekkan Betty, numéro unique d'un magazine proposant des bandes dessinées, paru en 1982 et qui compte parmi ses contributeurs des personnalités du monde de l'animation telles que Hayao Miyazaki, Yasuji Mori, Reiko Okuyama, Yoshinori Kanada ou encore Kazuo Komatsubara.

Après avoir travaillé sur différents films et séries au sein du studio Telecom, Miyazaki se retrouve quelques temps sans studio. C'est à cette époque qu'il débute Kaze no Tani no Nausicaä / Nausicaä de la vallée du vent, manga sérialisé dans le magazine Animage et dont le rédacteur en chef - Toshio Suzuki - deviendra le président du studio Ghibli. On doit en partie à ce dernier la mise en chantier de l'adaptation cinématographique de Nausicaä, film pour lequel Miyazaki fait appel à Kotabe pour animer une scène d'une dizaine de plans.

« Miya m'a dit : "Kotabe, voulez-vous m'aider ?" J'ai dit "Bien sûr !", et j'ai pris la chose très à la légère. Je n'avais même pas lu le manga Nausicaä.
On ne m'avait donné que la partie du
storyboard dont j'étais responsable, donc je n'avais pas lu l'intégralité de celui-ci. Miya m'a demandé de dessiner Nausicaä comme si elle marchait sur un tapis, alors j'ai dit : "Ca marche !" »

Ce n'est que bien après avoir rendu son travail que l'animateur prend conscience de l'importance de la scène en question (scène durant laquelle /!\ SPOILER /!\ le personnage principal revient à la vie).




L'un des plans animés par Kotabe


A la suite du succès du film, Miyazaki et Takahata obtiennent les fonds nécessaires à la création de leur propre studio : Ghibli. Lors d'une conférence donnée en 2018, Kotabe s'est exprimé au sujet de ce dernier : « Je trouvais les animes des années 80 ennuyeux. Oh, sauf ceux de Ghibli. » Quant à savoir pourquoi Kotabe n'a pas rejoint ce studio, il a indiqué n'avoir jamais été approché à ce sujet. Le fait qu'il ait décidé de ne plus être employé d'un studio (autre que celui formé avec sa femme) après les productions éprouvantes d'Heidi et de Marco n'est probablement pas étranger à cela.

Après Nausicaä, Kotabe travaille sur quelques films et séries de moindre envergure. On le retrouve au poste d'animateur clef sur Penguin's Memory: Shiawase Monogatari (1985), étrange objet filmique mettant en scène les manchots de la marque Asahi Beer et qui semble avoir été inspiré du Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino, tout en inspirant à son tour Konami pour les manchots de la série Parodius. Il œuvre aussi au poste de directeur de l'animation sur la série Hey! Bumboo / Boumbo (1985), ainsi qu'à celui de character designer sur le téléfilm Sango-sho Densetsu: Aoi Umi no Elfie (1986), qui est à Naucicaä ce que Water World est à Mad Max. Sur ce dernier comme sur Oz no Mahō Tsukai, nouvelle adaptation du Magicien d'Oz, la diffusion s'est faite alors que Kotabe avait déjà quitté l'industrie de l'animation.




Dessin de Yōichi Kotabe paru dans le numéro de mai-juin 1984 du magazine Comicbox. Nausicaä y chevauche une monture portant les traits de son créateur, Hayao Miyazaki


précédent 1 2 3 4 5 6 suivant

©Dom Auffret 2014-202X. Powered by WonderWitch.
- Cohost - Instagram - Mastodon - Tumblr - Twitter -